(Libéré, délivré !)
Rockford – Circa 1027 dN, Mois de la Désolation
Son sang coulait à flot. Tout cela semblait survenir dans un rêve d’ivrogne qu’ignorait une vie affaiblie. Sa vue, lentement, se brouilla, puis vira au rouge. Le sang se mêla aux larmes et à la sueur. Les cris et les chocs s’estompèrent lentement puis finalement se turent, laissant place au silence… A cet instant précis, un frisson de plaisir indicible et inconnu du combattant parcouru l’échine de son âme.
Le dernier fils de Keisler L’Ombrageux, roi de Rockford, venait de s’éteindre.
L’abomination relâcha sa proie inerte qui achevait de se vider de son sang épais sur la neige piétinée. Ses difformités retombèrent le long de ses flancs boursouflés et purulents. Elle esquissa d’abord le désir de se repaître des restes chauds du Piorad mais sembla changer soudainement d’avis. Une lueur nouvelle éclaira ce qui fut il a de ça encore six mois le bienveillant regard d’un oncle. Le hurlement qu’elle poussa à cet instant se fit rugissement et mourut en cri, presque en voix. La Forêt des Bûchers elle-même se tut…
À deux-cent-onze lieues de là, un Gadhar se massa le visage longuement, croqua un morceau de glace qu’il venait d’arracher sur le chéneau d’un toit puis lança un grognement avant d’insulter copieusement le Porteur qui venait de lui briser le nez.
Ce qui énervait le plus Mouleh, c’était que sans l’intervention de l’Aegicius, de sa Morgenstern il l’aurait transformé en moisissure digne de sa sale race, cette souillure de lourdaud ; ce qu’il pouvait haïr les Hysnatons ! Plus encore que les Dérigions et les Batranobans. Moins que les Piorads tout de même…
— Que le Néant te dévore maudit pays gelé de sauvages ! ricana Mouleh de nervosité.
Et surtout, il l’avait ridiculisé en public.
Vivement qu’ils localisent l’abomination et que cela en soit terminé de cette levée, et de son enrégimentement. En attendant, l’alcool devait vomir à flot et transporter les quelques effluves malodorantes de son gosier jusqu’à plus soul. Mais avec ces trois là hors de question de remettre les pieds à l’Auberge du Chagar Élégant.
Mouleh les laissa à leurs conversations sans intérêt, avec leurs affutiaux qui se prenaient pour des Dieux.